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D es flamants sur quatre continents. De l’Amérique du Sud aux Caraïbes et jusqu’en Asie mineure, des hauts plateaux andins aux vastes lacs africains, les flamants n’ont cesse de susciter l’étonnement par leur extraordinaire adaptation à des environnements extrêmes. On distingue six espèces de Flamants : le Flamant des Andes (Phoenicoparrus andinus), le Flamant de James (Phoenicoparrus jamesi), le Flamant du Chili (Phoenicopterus chilensi), le Flamant des Caraïbes (Phoenicopterus ruber), le Flamant nain (Phoenconaias minor) et le Flamant rose (Phoenicopterus roseus). S’ils ont bien un air de famille, leur taille, la coloration de leur patte ou de leur bec permet aisément de les identifier. Des oiseaux vulnérables et menacés. Inféodés aux lagunes d’eau saumâtre et salée de faible profondeur, les flamants sont vulnérables de par les menaces qui pèsent sur la plupart des zones humides dont ils dépendent : développements industriels, agricoles et touristiques. Les Flamants roses. Ils seraient plus d’un demi-millions dans le monde et sont observables tout autour de la Méditerranée, en Afrique du Sud, en Afrique de l'Est, en Afrique de l’Ouest, ainsi qu’en Asie mineure (cf. distribution). ![]() U n oiseau protégé par la loi. Le Flamant rose (Phoenicopterus roseus) est listé aux annexes de la Convention de Bern (1979), de la convention de Bonn (1983) et à l’annexe I de la directive oiseaux 79/409/EEC de l'Union Européenne. Une espèce emblématique des zones humides. Le succès de reproduction des Flamants roses est très variable et dépend étroitement de la nature du terrain choisi, des conditions climatiques et de sa tranquillité vis à vis des prédateurs terrestres et du dérangement. C’est pourquoi, nous considérons que le Flamant rose demeure une espèce fragile et vulnérable car, malgré la taille de sa population, il ne niche que dans un nombre très restreint de sites. Ces sites sont très souvent menacés par l’urbanisation ou l’assèchement par le détournement des eaux au profit de l’irrigation. Si les changements climatiques annoncés contribuent, comme certains modèles le prédisent, à faire monter le niveau de la mer Méditerranée, cela pourrait mettre en péril certains de ces sites, et modifierait fortement la dynamique de cette population. Dans la région méditerranéenne, la reproduction du Flamant rose est tributaire des mesures de protection efficaces prises en Camargue, en Andalousie, en Catalogne et dans le Delta du Pô. D es colonies immenses. Les Flamants roses sont grégaires et se reproduisent en colonies de plusieurs centaines à plusieurs milliers d'individus. Les couples ne sont pas fidèles d'une année sur l'autre mais les individus de même âge ont tendance à s'apparier (Cézilly & Johnson 1995). Les parades nuptiales commencent dès la fin de l'automne pour former les couples de l'été suivant. Après avoir choisi un îlot favorable, les flamants y construisent leur nid, un monticule de boue séchée de 10 à 20 cm de hauteur. La femelle n’y pond qu'un seul oeuf qui sera couvé tour à tour par les deux partenaires (1 à 4 jours d'incubation consécutifs) pendant un total de 28 à 30 jours. A la naissance, les poussins sont recouverts d’un duvet blanc, leurs pattes et leur bec sont rose vif. En quelques jours, le duvet devient gris, les pattes et le bec virant au noir. Les flamants n'atteindront leur couleur rose définitive qu’à l'âge de 4 ans, en même temps que la maturité sexuelle. La crèche. Les poussins se promènent hors du nid dès l'âge d’une semaine. Après 12 jours environ, ils se rassemblent en crèche que les parents abandonnent pendant la journée. Ils reviennent les nourrir le soir. Chaque parent reconnaît sont poussin parmi les centaines d’autres grâce à son cri unique. A partir de son jabot, l’adulte secrète un liquide riche en protéines pour nourrir son poussin. Un repas peut durer de 15 à 30 minutes. Les jeunes s’alimentent seuls après l’envol qui a lieu vers l’âge de 77 jours. De formidables voyageurs. A l’automne, une grande proportion des flamants part vers le sud pour éviter les grands froids. Chez les jeunes, ce départ dépend de la condition corporelle, les juvéniles en bonne condition ayant une plus grande chance de partir hiverner dans le sud que les autres (Barbraud et al. 2003). Les sites d’hivernages, quant à eux, pourraient en partie dépendre des vents portants le jour du départ (Nager et al. 1996). L’hiver au soleil. Les flamants adultes et juvéniles hivernent en grand nombre en Afrique du nord (Maroc, Algérie et Tunisie) et en Afrique de l’ouest (Mauritanie et Sénégal). D’autres partent jusqu’à l’est de la Méditerranée (Turquie, Israël et Egypte). En général, les jeunes flamants restent pendant 2-3 ans sur le lieu de leur premier hivernage, remontant parfois occasionnellement, puis de plus en plus fréquemment visiter des sites de reproduction quand vient le printemps. Des oiseaux nomades ? Seule une petite proportion des flamants se reproduira sur son lieu de naissance. Les adultes, quant à eux sont peu fidèles à un site de reproduction d’une année sur l’autre, ce qui conduit à d’importants échanges d’individus entre les colonies. Ainsi, il semble que les flamants nés en Méditerranée occidentale appartiennent tous à une seule et même population même s’ils ne sont pas nés ou ne se reproduisent pas au même endroit. Une telle population, composée de différentes colonies interconnectée est appelée une métapopulation. P ourquoi les Flamants sont-ils roses ? Les Flamants étaient considérées par les égyptiens comme l’incarnation du Phénix, un « oiseau fabuleux, unique en son espèce, qui, disait-on, vivait plusieurs siècles, et qui, brûlé, renaissait de sa cendre » (Littré). Les égyptiens utilisaient aussi un hiéroglyphe en forme de Flamant pour signifier la couleur rouge et les grecs se servaient du mot phoinix pour désigner cette même couleur (Allen 1956). Seules 5 molécules, appartenant à la famille des caroténoïdes contribuent à cette coloration, ce sont l’Echinenone (4-keto-β-carotène, orange), la Canthaxanthine (4, 4’keto-β-carotène, rouge) qui est prédominante dans le sang et les plumes des cinq espèces, la Phoenicoxanthine (3-hydroxy-4,4’-diketo-β-carotène, rouge), l’Astaxanthine (3,3’-dihydroxy-diketo-β-carotène, rouge) et la Phoenicopterone (4-keto-α-carotène, orange) (Fox 1975). Ces molécules, que l’on retrouve chez de nombreuses espèces d’oiseaux colorés, sont des formes oxydées de caroténoïdes photosynthétiques que seuls les végétaux sont capables de synthétiser à partir de molécules simples. Ces caroténoïdes photosynthétiques sont particulièrement abondants dans les algues des milieux alcalins que les Flamants fréquentent à travers le monde. Les Flamants synthétisent donc les pigments nécessaires à leur coloration à partir de caroténoïdes issus de leur alimentation, soit en consommant des algues unicellulaires et des graines de plantes aquatiques, ce sont alors des caroténoïdes de « première main » qui devront être oxydés, soit en consommant des crustacés tels Artemia salina ou des larves d’insectes. Dans ce dernier cas ce sont des caroténoïdes « de seconde main » qui sont souvent déjà oxydés. Un atout de séduction. La coloration des Flamants peut ainsi avoir été sélectionnée parce qu’elle les rend cryptiques sur des lagunes salées qui prennent souvent cette couleur. Mais elle est peut-être aussi un caractère sexuel secondaire jouant un rôle décisif dans la formation des couples en signalant la qualité des individus au cours des parades nuptiales. En effet, outre leur qualité de colorant, les caroténoïdes ont des propriétés antioxydantes, immunostimulantes et détoxifiantes, et sont de puissants éradicateurs de radicaux libres. Cette constatation a conduit à émettre l’hypothèse que l’évolution de colorations vives chez les oiseaux résulterait d’une sélection positive pour les individus en bonne santé signalés par l’intensité de leur coloration (Hamilton & Zuk 1982). Cette hypothèse est supportée par une étude française récente (Faivre et al. 2003) montrant que chez le Merle noir Turdus merula, l’activation du système immunitaire suite à une infection réduit l’intensité de la coloration du bec. Il a aussi été émis l’hypothèse que les oiseaux les plus brillamment colorés seraient non seulement en meilleur santé mais aussi les plus aptes à affronter des infections. Dans ce cas, les individus pouvant se permettre de rediriger un surplus de caroténoïdes vers le plumage sont ceux capables d’en mobiliser suffisamment pour leur immunité (Lozano 1994). Une prémisse importante à ces hypothèses est qu’il est difficile de disposer de caroténoïdes en grande quantité, ceci imposant un compromis entre immunité et coloration (Olson & Owens 1998). Cette prémisse ne semble pas confirmée chez toutes les espèces d’oiseaux et le taux élevé de caroténoïdes en circulation dans le sang des Flamants suggère que ces molécules ne sont pas limitantes (Hill 1999). Si d’importantes variations d’intensité de coloration du plumage sont visibles chez les Flamants, jusqu’à ce jour aucune étude n’a été menée pour comprendre les implications de ces variations sur la dynamique de formation des couples. Allen, R. P. (1956) The Flamingos: their life history and survival. National Audubon Society, New York, NY. Barbraud, C., Johnson, A. R. & Bertault, G. (2003) Phenotypic correlates of post-fledging dispersal in a population of greater flamingos: the importance of body condition. Journal of Animal Ecology, 72, 246-257. Cézilly, F. & Johnson, A. R. (1995) Re-mating between and within seasons in the Greater Flamingo Phoenicopterus ruber roseus. Ibis, 137, 543-546. Faivre, B., Grégoire, A., Préault, M., Cézilly, F. & Sorci, G. (2003) Immune activation rapidly mirrored in a secondary sexual trait. Science, 300, 103. Fox, D. L. (1975) Carotenoids in pigmentation , in J. Kear & N. Duplaix-Hall, eds. Flamingos. pp. 162-182. T & A D Poyser, Berkhamsted. Hamilton, W. D. & Zuk, M. (1982) Heritable true fitness and bright birds : a role for parasites? Science, 218, 384-387. Hill, G. E. (1999) Is there an immunological cost to carotenoid-based ornamental coloration. American Naturalist, 154, 589-595. Lozano, G. A. (1994) Carotenoids, parasites and sexual selection. Oikos, 70, 309-311. Nager, R., Johnson, A. R., Boy V., Rendon-Martos, M., Calderon J. & Cezilly F. (1996) Temporal and spatial variation in dispersal in the greater flamingo (Phoenicopterus ruber roseus). Oecologia, 107, 204-211. Olson, V. A. & Owens, I. P. F. (1998) Costly Sexual Signals: Are Carotenoids Rare, Risky or Required? Trends in Ecology & Evolution, 13, 510-514. |